Michel Lagrange
Poème de Michel Lagrange (lagrange.michel@orange.fr)
inspiré par cette sculpture exposée à la Galerie d'art de Châtillon :
LA SÈVE ET LE BOIS MORT
Usure… exil… mortalité…
Destin.
Le vent glacial de la fournaise est criant de douleurs.
Le ciel étrange et vide aspire à des retours de flamme.
Où est le temps de nos incertitudes ?
Et l’accord des consolations ?
Le sang et la sueur tourbillonnent.
Insondable et faux-jour.
Pression pour désœuvrer nos vies.
Les couteaux de la bête humaine
Ont eu raison de notre intégrité.
Agoniser, survivre aux scrupuleux rayons des miradors,
Aux dents des barbelés,
À notre déchéance…
Notre vie dans la mort,
Notre mort dans la vie…
Nous voici dans la confusion de l’être
Ou n’être pas.
Nous sommes du mauvais côté de notre vie.
Saignés à blanc.
La fumée sacrilège a les reflets moirés
D’un vol d’oiseaux libérateurs.
Nous faisons l’amour à des idées fixes,
Avant de, pantelants, minables,
Envisager de n’être plus.
Qu’y a-t-il d’humain dans nos corps
Désemparés ?
Que reste-t-il de la beauté
Antérieure au déluge ?
À contre-courant des horreurs
Et des pesanteurs d’animalité,
Fenêtre ouverte,
Un violon de guingois, usé jusqu’à la corde
Où nous serons pendus…
Poser l’archet sur ce violon boiteux…
Se démarquer de notre matricule…
Essayer de reconquérir…
Et tracer sur le plateau de bois mort
Une ligne de sève et de vie conjugale...
La partition décolle
Et j’espère un bruissement d’ailes.
Élan subtil vers ce qui nous dépasse,
Et nous concerne,
Encore en butte aux asphyxies de bas étage.
Oublier… déployer… se délivrer du mal.
Autant de déraisons gagnantes.
Autant d’exploits que de défis.
Réponse ouverte à des questions fermées,
L’essor…
Détachements de nos souillures.
Une sonate… une fugue impatiente,
À la barbe et au nez de nos terreurs gardiennes.
Un chemin vers le ciel,
Avec des frôlements d’oiseaux…
Ne plus parler de l’imparfait,
Jeter nos respirations squelettiques
Aux poumons du plein air.
Le vrai savoir est clandestin…
La beauté que nos doigts meurtris
N’ont pas perdue
Reprend courage.
Épousant nos ferveurs,
Nous nous libérons de ce qui ressemble
Aux derniers jours.
Attenter à tout ce qui ment,
Retrouver le silence,
Au-delà des cris des bourreaux.
Au profit de l’ubiquité,
Ici, dans le cauchemar étouffant,
Ailleurs, dans notre création…
Au plafond de nos tragédies,
Je creuse à mains nues l’air tremblant
De l’invivable.
Avènement de la corde et du bois…
C’est l’âme du violon qui nous remet en perspective.
Une fleur… une autre identique…
Autant de plaies qui se referment…
On doit s’émerveiller du chant des rudérales
Au plus infect des immondices.
Un alpha de sonate…
Un brouillon de chef-d’œuvre.
Une prière aux ciels de l’Homme en majuscule…
Une éternité sans visage…
Ce que fait revenir en nous
Ce passage en beauté
Nous prend à la gorge aux dépens
De la mort qui joue l’arc-en-ciel
Au-dessus des cheminées rouges.
Inventions de la main… pulsions du cœur…
Ampleur du geste au-delà de nos doigts…
Fleurs et fruits sur des arbres morts…
Je fais le procès des horreurs,
Et jette sous les pas des condamnés à mort
La tiédeur du velours.
Comme si ce qui sort vivant
Du corps à corps
Était un accord à sauver,
De l’infernal au paradis d’une œuvre.
Quand la beauté prend le dessus,
L’enfer me ment qui se prétend fatal.
La couronne des barbelés
Se met aux vibrations de la sonate…
Le violon sonne faux,
Il joue juste et il nous sublime.
Dépasser le tranchant des emplois du temps mort,
L’aboiement des chiens-loups,
Les corps malveillants des gardiens…
Il faut aller jusqu’au bout des douleurs,
Pour que la beauté se dilate encore.
Se fonder sur l’absence,
Élever nos passions,
Et traverser la pluie des cendres.
Même ébréché, le tremblement de la musique
Apporte à l’univers un jour de substitut.
Le temps mis à l’envers nous ramène à l’enfance.
À la naïveté première…
À supplier l’inexprimable,
On dessine une icône
Où brille un dieu qui reprend souffle.
Douleur et joie…
D’intelligence avec ce qui est beau,
L’univers se délivre.
De quoi sourire et rayonner,
Malgré nos lèvres purulentes…
Insulter nos bourreaux.
Ce qui se cache est plus réel
Que l’horreur qui nous prend de force.
Le violon nous réconcilie
Avec la vérité qui nous retrouve.
Silencieux cris du secret de nos cœurs,
Un coup-de-foudre en beauté se déploie
Spiralé ascendant
Comme un éclat d’or dans la boue.
Nous sommes morts assez souvent
Pour exiger de la Lumière.
Un chemin dans le ciel
Avec ses frôlements d’oiseaux…
C’en est fini de la nuit du plein jour.
En écho parfait, la Lumière...
Son âge d’or.
Ainsi que dans l’amour,
Nos corps rendus à leurs vertiges…
Autant d’échappées belles !
Pénétrant sa douleur,
Je passe autour d’un corps qui va être pendu
La maternité de mes bras,
Et la beauté qui ne connaît ni temps mauvais
Ni repli carcéral.
Que peut le temps de l’ici-bas
Quand il est remplacé par de l’intemporel ?
Je donne ainsi la mort à cette actualité qui tue.
Un air, achevé en majeur,
Prend le parti de nos résurrections.
Dans ce non-lieu de l’infini,
La beauté… l’oubli… le silence…
Au moindre coup de l’archet sur les cordes,
Il n’est question que d’immortalité.
Même si la mort nous engloutissait,
Notre envol est irréversible,
Et la vie revient de l’erreur humaine.
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